Le 3 décembre dernier, la rédaction de MakeSense STORiES a participé à sa première DiscoFugees à Paris, une soupe populaire organisée par et pour les migrants. On vous raconte.
Quand on arrive à la Station Total au niveau du métro Porte de La Chapelle, dix cageots de fruits et légumes récoltés parmi les invendus de trois Monoprix parisiens siègent par terre. Thibaut et Anna qui composent à eux deux l’équipe des collecteurs à l’origine de ce butin, annoncent : « Un des Monop’ nous a zappé alors qu’on les a appelés toute la semaine pour éviter qu’ils nous plantent, même la veille ! ». Le temps de nous extasier devant la forme d’un chou romanesco à peine défraichi (« Clairement un légume que Dieu a crée le 7e jour sous LSD »)et Tinou, un des fondateurs de DiscoSoupe débarque en skateboard, sur lequel il empile les cageots comme s’il jouait à Tétris pour les emmener en bas d’une barre d’immeuble à quelques mètres de là, soit l’endroit où va se tenir la deuxième DiscoFugees de l’automne 2017. Juste en face, sur une esplanade située à deux minutes à pied du camp de La Chapelle on aperçoit une trentaine de migrants qui discutent en petits groupes.
Il était une fois, une soupe populaire et du disco
Tinou, de son vrai nom Antoine, est un des initiateurs de DiscoSoupe, une association créée en 2012 par un groupe de potes. Mais, en fait, en quoi ça consiste exactement une Disco Soupe ? « C’est un événement convivial et festif où n’importe qui peut venir cuisiner avec des invendus récupérés auprès des supermarché. L’idée est de sensibiliser sur le gaspillage alimentaire, créer du lien social tout en s’amusant et en dansant » Depuis sa création, le collectif DiscoSoupe compte plus de 3000 événements à travers le monde. Leurs valeurs cardinales ? Bienveillance, concision, écoute, curiosité. Chacun peut organiser sa Disco Soupe s’il le souhaite à condition de respecter les « Disco’mmandements » parmi lesquels on compte « Dans un lieu ouvert tes marmites tu installeras » et « Les légumes disqualifiés car biscornus mais très goûtus tu sauveras». La méthodologie est disponible en open-source et des formations sont prodiguées régulièrement partout en France aux bénévoles qui souhaitent en organiser dans leur ville.
« L’idée est de sensibiliser sur le gaspillage alimentaire, créer du lien social tout en s’amusant et en dansant »
Et une DiscoFugees ? Sophie, qui a contribué au lancement de ce « spin-off », raconte : « Fin 2016, on a été plusieurs à se dire qu’il fallait lancer une soupe populaire pour les migrants. J’étais bénévole à Avocat Debout et choquée par la situation déplorable dans laquelle sont accueillis les migrants en France. Une semaine après, un mardi, on était à La Chapelle pour la première DiscoFugees du nom. Ce fut un véritable succès ». Même si le concept est proche, une DiscoFugees ne répond pas aux mêmes objectifs qu’une DiscoSoupe : « La priorité d’un tel événement est plus de créer du lien social, cuisiner et manger tous ensemble que la sensibilisation au gaspillage alimentaire ».
Le huitième Disco’mmandements est « Des musiciens à cette grande fête du convieras ! » Pas de chance : ce matin, le guitariste qui devait mettre l’ambiance a eu une panne de réveil. Pas grave, on a l’habitude de ce genre de désistement et des enceintes portatives remplacent avantageusement le musicien démissionnaire. Les bénévoles du jour, une bonne quinzaine de jeunes entre 25 et 30 ans arrivent au compte-goutte emmitouflés dans dix couches de pulls et chaussettes (le thermomètre indique -1°, ressenti -20°). C’est la première DiscoFugees organisée de A jusqu’à Z par des bénévoles aussi peu expérimentés (la plupart n’ont été formés que la semaine précédente) et même s’il ne veut pas se l’avouer, Tinou flippe un peu. Les bénévoles, en charge de ramener l’équipement (du gaz en passant pas les couverts) stocké dans un squat du 11e arrondissement, arrivent enfin. En moins d’une demi-heure, les tables sont installées et les légumes mis à tremper dans de grandes bassines rouges.
C’est la première DiscoFugees organisée de A jusqu’à Z par des bénévoles aussi peu expérimentés et même s’il ne veut pas se l’avouer, Tinou flippe un peu.
On traverse la rue pour proposer aux migrants (que des hommes) de donner un coup de main en cuisine. La plupart sont soudanais ou tchadiens. Après avoir hésité pendant environ trente secondes, ils traversent la route qui les sépare du théâtre des opérations. On s’organise. Tout le monde se désinfecte les mains avec du produit hydro-alcoolique (les organisateurs de DiscoSoupe recensent à ce jour 0 cas d’intoxication alimentaire et comptent bien garder ce record) et au boulot ! Au menu : salade très composée, soupe encore plus composée et compote de fruits. On ne se plaint pas, Maude, une des bénévoles de longue date se souvient de la fois où «on a cuisiné un jus pommes et choux. C’était pas une franche réussite ». Chacun, qu’il soit bénévole, voisin flâneur ou migrant se voit attribuer une planche et un couteau pour contribuer au découpage des fruits et légumes.
C’est l’occasion de blaguer avec ses voisins de tablée. Mon voisin de droite est Soudanais. Il est arrivé il y a deux semaines en France après être passé par l’Italie. La nuit, il dort dans la rue, dit-il en pointant du doigt Porte de La Chapelle. « Il fait froid non? » « Oui, très froid ». Nos niveaux d’anglais respectifs nous empêchent d’avoir une conversation plus approfondie. Les enceintes crachent de l’italo-disco et tout le monde se dandine pour lutter contre le froid glaçant (et parce qu’il est impossible de ne pas danser sur de l’italo-disco ndlr). On propose d’alterner la musique et mon voisin suggère Toofan, un groupe de pop Togolais, ce qui suscite l’hilarité générale et nous fait presque oublier pendant quelques secondes que nos doigts sont en train de tomber.
La nuit, il dort dans la rue, dit-il en pointant du doigt Porte de La Chapelle. « Il fait froid non? » « Oui, très froid ».
Les aléas du direct
Cauchemar en cuisine : les bouteilles de gaz sont toutes les deux vides. Cuisiner de la soupe sans feu risque d’être un poil compliqué. Marie, une des bénévoles affublée d’un bonnet d’ours débarque les bras chargés de baguettes récoltées dans les boulangeries alentours. On s’occupe en lavant les laitues et en papotant. Enfin, attendues telles des messies, deux bénévoles reviennent avec deux bonbonnes de gaz pleines. Tinou a de son côté investi dans un auto-cuiseur de riz : « ça servira pour les prochaines fois ».
Enfin, attendues telles des messies, deux bénévoles reviennent avec deux bonbonnes de gaz pleines.
Sophie se rappelle : « Au début, il y avait toujours des problèmes techniques, comme le gaz qui se congelait. Les migrants se foutaient de nous parce qu’on était vraiment des bleus. » Pour éviter ces déconvenues, Sophie et d’autres bénévoles ont candidaté et remporté 10 000 euros au budget participatif de Paris ce qui va leur permettre d’acheter du matériel, notamment un triporteur électrique avec remorque pour faire des récups sans dépendre d’une voiture.
On se regroupe près des casseroles (enfin) allumées pour tenter d’augmenter la température de nos corps de quelques degrés. Quelqu’un a ramené une enceinte de compet’ et les dandinements timides laissent place à des mouvements de danse assumés.
Ça y est, la soupe est prête ! Il est déjà 13h30, et les ventres commencent à gargouiller. Une petite foule s’approche et les plats sont distribués dans des gamelles en plastique (qui seront réutilisées bien sûr, politique zéro gâchis chez DiscoSoupe). Au final plus d’une centaine de couverts seront servis et autant d’estomacs rassasiés.
Vaisselle et bilan
Une fois le dessert servi, les migrants se parsèment. Il est temps de ranger et de s’attaquer à la montagne de vaisselle. Mohammed, arrivé la veille à Paris nous donne un coup de main. Avant de se séparer, on fait le bilan de cette DiscoFugees avec bienveillance : il reste pas mal de nourriture que Tinou ramènera à son boulot. « La prochaine fois ça serait mieux d’estimer les quantités en amont pour éviter de se retrouver avec la nourriture sur les bras ». On aurait bien aimé un peu plus de directives en cuisine pour éviter de mettre des aubergines dans la salade. Bien qu’un peu fourbu, tout le monde semble aussi ravi que frigorifié (et on est très très frigorifiés).
Sophie pointe les limites d’un tel événement : « Le fait qu’on ne soit que des bénévoles est problématique. Quand j’ai commencé à DiscoSoupe, j’étais étudiante et j’avais du temps, maintenant c’est moins le cas. Il arrive aussi souvent que les migrants n’aiment pas la bouffe qu’on cuisine. J’aimerais bien qu’on les laisse faire leurs recettes. Une fois j’avais dis à un mec « Qu’est ce que tu as envie de cuisiner ? » et ça avait très bien marché. »
Le quartier n’est pas le plus passant de Paris, surtout par ce temps post-apocalyptique, mais une jeune femme nous interpelle alors que les derniers bénévoles se dispersent « C’est quoi le nom de votre asso ? J’aimerais bien participer la prochaine fois ! ».
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